Histoire de...

Histoire de...

En attendant la lumière... (merci S)

Bonjour ! Alors cet article est un peu particulier... En fait j'ai récemment commencé un nouveau roman (oui, je sais que c'est pas bien et qu'il faut que je finisse l'autre !! ^^) Mais j'ai vraiment été inspirée... Donc je vais mettre des extraits, juste pour savoir votre avis et si je devrais continuer ce nouveau projet...

Voilà !! Trêve de blabla, voici la chose en question :

 ( oui, j'ai enlevé une partie du prologue car il dévoilait un peu trop de choses... Mais cette partie reviendra dans le texte ;) )

 

PROLOGUE :

 

Je cours.

- Ethan !!

Je tourne à droite, à gauche, puis encore à droite...

- Ethan !!!!

Je ne sens plus mes poumons. Je cours.

Tous les murs sont blancs. Tout se ressemble. Mon cœur va exploser. Ma vue est brouillée par les larmes. Je ne dois pas m'arrêter. Je ne m'arrêterais jamais.

- ETHAN !!!

Je vais le retrouver. Il est là. Ça ne peut pas se passer autrement.

Je fuis. Les couloirs sont sans fin. Je suis perdue, mais ça  m'est égal. Je tournerais en rond pour toujours s'il le faut, mais je le trouverais.

- ETHAAAN !!!

Je hurle. Il va m'entendre. Il va venir dans ma direction. J'ai tellement mal à la gorge. Ma blouse me gratte de partout. Mais je cours, encore et encore. Il le faut. Ethan, Ethan, Ethan, son nom résonne dans ma tête, sans interruption. Mes pieds me font horriblement souffrir.

Ethan.

Je vais te retrouver.

Je te le jure.

 

Attendez. Ce n'est pas comme ça que cette histoire a commencé.

 

CHAPITRE UN : 

 

Je ressens encore les coups. Je ressens encore chaque parcelle de mon corps trembler sous l'assaut du bâton en bois. Je ressens encore la douleur, l’incompréhension. J'entends encore sa voix me crier dessus. N'ouvre jamais les yeux. N'enlève jamais ton bandeau. Jamais, tu m'entends ? Tu es un monstre. Ne l'oublie à aucun moment.

 

 

J'ai grandis dans le noir complet. Je n'ai aucune idée de comment se dresse le monde autour de moi. Tout est néant. Tout n'est que bruits, sensations. Le drap du lit dans la pièce où je dors n'a pas de couleur. Il est doux. Il accroche un peu au toucher à cause des nombreux fils qui le composent. Il sent la lessive le lundi matin. Madame Maltes n'a pas de visage. Elle est rugueuse, dure, sèche. Lorsqu'elle prend mon bras pour m'emmener quelque part, je sens que ses mains sont calleuses. Sa voix est agacée, exaspérée. Les autres pensionnaires sont parfois des rires, plus souvent des chuchotements. Un ensemble d'éclats de voix diverses, de bavardages, de tintements de fourchettes dans le réfectoire. Ils ont l'air nombreux. Ils n'ont l'air ni heureux, ni malheureux. Ils sont là, c'est tout.

Je n'ai aucune notion du temps qui passe. Je suis ici depuis toujours, il me semble. Madame Maltes ne me parle presque pas, à part pour me donner des ordres. Elle ne veut pas me décrire le monde. Je le sais, puisque je le lui ai demandé. Elle m'a répondu qu'elle n'avait pas que ça à faire. Je pense que c'est faux, car elle passe ses journées à me surveiller en silence. Elle me lève, me lave, m'habille, me nourrit. Elle pourrait me parler un peu... Me dire le temps qu'il fait, ou me décrire le ciel par exemple.

Mais elle ne veut pas, et je la comprends. Je la répugne. Je ne mérite pas le moindre égard. Car je suis un monstre.

Dans les rares moments où elle ouvre la bouche, Madame Maltes me dit que je devrais être morte. Que je suis une erreur de la nature. Je la crois.

 

 

- Debout.

La couverture vole. Le froid mord mes jambes nues. Je frissonne.

- Dépêche toi.

Je m'assois, et sa main me tire hors du lit. Mes pieds se posent sur le sol glacé. Madame Maltes m'emmène à l'autre bout de la pièce. Mes pas font des ''poc'' sur le carrelage.

- Lève les bras.

Je m'exécute, et elle me retire mon haut de pyjama, puis mon short. J'ai froid. Elle me prend durement par les épaules et le retourne. Elle va retirer le bandeau.

- Jure.

Je sais ce qu'il faut que je dise. Je déglutis. Elle attend. Je sais ce qu'elle veut. Elle se met à enfoncer ses ongles dans ma peau. C'est pour mon bien.

- Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

Ses mains laissent enfin mes épaules. Je sens le nœud à l'arrière de mon crâne se relâcher. Le tissu en coton glisse sur mon visage. Mes paupières reçoivent le contact de l'air. Je garde les yeux clos. C'est la règle.

Les mains me poussent légèrement, et mon orteil bute contre la bassine en plastique. Je lève un par un les pieds et pénètre dans l'eau. Elle est à peine tiède, mais j'ai l'habitude. Je ne tressaille même pas lorsque l'éponge gratteuse se met à frotter mon omoplate, versant une coulée d'eau froide le long de mon dos.

 

Je suis Madame Maltes dans les couloirs. Elle m'a lavée et habillée sans un mot. Elle m'a remis le bandeau. Je ne sais pas pourquoi j'ai ce pincement au cœur chaque fois qu'elle le renoue. Je n'ai pas le droit de ressentir de la tristesse quant à mon sort. Je ne mérite que la mort, mais on prend soin de moi. Je n'ai pas à me plaindre, ni à vouloir vivre comme les autres pensionnaires. Ils sont normaux. Je suis un monstre.

 

 

Madame Maltes tourne brusquement à droite. Je sais où nous allons.

 

Toc, toc, toc. Le bruit d'un choc sur le bois.

- Entrez.

La porte grince. On me pousse à l'intérieur et referme le battant. Cet endroit sent l’acajou et l'encens : c'est le bureau de Madame Vanille. Je ne connais pas son vrai nom. On ne me l'a jamais dit. On ne me dit jamais rien. Parce que je n'ai pas besoin de savoir.

Et puis pourquoi me dire un nom puisque je n'appelle pas ? Je me contente d’appeler dans ma tête, là où personne n'entend. Madame Vanille sent la vanille, voilà tout. Elle est dans cette pièce. Je sens son odeur sucrée et écœurante d'ici. J'entends des froissements de papier. Puis, sa chaise racle le sol et ses talons claquent sur le parquet. Elle prend mon bras et m'assois. Sa peau est moite.

Ma main se dirige spontanément vers les bouloches que forme le tissu du dessus de la chaise et les tire nerveusement. Ce contact familier me rassure.

Je me demande si j'ai un prénom. Je crois que non. Un monstre n'a pas besoin de prénom, et n'en mérite pas.

- Je te sens nerveuse. Tu vas bien ?

Sa voix est neutre, posée. Je reste muette.

Si je vais bien ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.

- Oui.

- Tu n'as pas enlevé ton bandeau, dis moi ?

Elle me le demande à chaque fois. Elle sait très bien que non, ou Madame Maltes le lui aurait dit. Mais c'est toujours la même rengaine, alors je joue le jeu :

- Non.

- Parfait. Tu n'as pas envie de le faire ?

Je réfléchis. Je crois que non. Peut-être. Et puis je ne crois pas avoir une quelconque envie pour quoi que ce soit. Qu'est-ce que l'envie ?

Alors je répond :

- Non.

- Tu es sûre ?

- Oui.

- Dis moi pourquoi il ne faut pas que tu le fasses.

- Parce que je suis un monstre.

Ses boucles d'oreilles tintent, elle hoche la tête je crois.

- Bon. Crois-tu que l'on te ment en disant cela ?

Que je suis un monstre ? Bien sûr que non, puisque j'en suis un.

Je ne connais pas réellement la définition de ce mot. Je ne connais que celle que Madame Vanille m'a donnée, comme pour tous les mots. Un stylo tape frénétiquement contre le bureau. Tac, tac, tac, tac...

Monstre signifie : chose qui n'aurait jamais du venir au monde, qui tue sans scrupule. Qui ne pense pas. Qui ne ressent pas. Suis-je comme cela ?

Tac, tac, tac, tac, tac...

Sûrement, puisque Madame le dit. Mais ma voix hésite une fraction de seconde avant de lâcher :

- Non.

Le stylo ne tape plus. Oh, non.

- Tu as hésité.

Je ne proteste pas. Je n'ai aucune excuse. D'une voix désolée, Madame reprend :

- Mais voyons, tu sais bien que nous ne te mentirions jamais. Sincèrement, ça me fait de la peine que tu puisses penser cela. Tu m'obliges à employer les grands moyens... Crois-moi, ce n'est pas ce que je souhaite. Mais tu ne me laisse pas le choix.

Un tiroir s'ouvre. Je connais ce tiroir depuis quelques années, je crois. Je n'aurais pas dû hésiter. Madame me lève et m'agenouille à terre. Elle me retire mon tee-shirt. Ses talons claquent. Je serre les dents. C'est pour mon bien. Je le sais.

Au premier coup de bâton, le douleur forme un rond dans mon dos. Au deuxième, elle se propage dans toute ma colonne vertébrale. Au troisième, je ne la sens plus. Je ne sens plus rien.

Au tout début, je pleurais, je criais. Mais au fur et à mesure, j'ai compris que c'était pire ainsi.

Lorsque c'est finit, Madame est essoufflée. La vanille sent terriblement fort.

- Je veux te l'entendre dire.

- Je suis un monstre.

- Parfait. Ce sera tout pour aujourd'hui.

Elle me remet mon tee-shirt et me laisse partir avec Madame Maltes. A chaque pas, mon corps tout entier me fait souffrir. Mais je marche sans rien dire. Je n'ai pas le droit de me plaindre.

 

J'entends un bruit sourd de chahut se rapprocher. Madame Maltes m'emmène au réfectoire. Lorsque l'on pénètre dans la salle, les voix qui parlaient se mettent à chuchoter. Il flotte dans l'air une odeur de lentilles de le saucisse. Je hume l'air et m'en emplit les poumons. Le réfectoire est mon endroit préféré. Les pensionnaires se remettent à chuchoter, et je perçois des bribes de conversations :

- Tiens, la voilà...

- Elle me fout les jetons cette fille.

Je ne comprend pas toujours ce qu'ils disent. Je crois qu'il ne parlent qu'à moitié ma langue, puisque certains mots me sont inconnus. Madame Maltes me conduit à une chaise, et me nourrit cuillère à cuillère. Je mastique lentement. Elle me donne juste assez pour faire taire la bête qui grogne dans mon estomac.

Mes journées sont monotones.

Je crois que c'est pour ça que je ne sais jamais quel jour on est. Le temps passe lentement.

 

Parfois, je me demande quel est le but de ma vie. Je sais que je ne devrais pas, et que Madame n'approuverais certainement pas que je pense. Mais c'est une chose que je ne contrôle pas. Je pense sans arrêt.

Madame Vanille est très bonne avec moi. Elle m'a raconté qu'elle m'avait recueillie. Que personne ne voulait de moi. Je lui dois tout.

Aujourd'hui est un jour comme les autres. Rien ne change. Je me contente de suivre Madame Maltes et de faire ce qu'elle attend de moi.

Mais aujourd'hui, je frétille d'impatience. Je veux être ce soir. Plus que jamais, j'ai besoin d'être seule.

 

La journée est finie. Sa main me raccompagne à l'endroit où je dors. Elle me met en pyjama et me couche, puis elle part. Enfin.

 

Je me redresse, attentive. Aucun bruit ne provient du couloir. Je suis enfin seule.

Je me met à toucher frénétiquement tout ce qui se trouve autour de moi : le matelas rebondit, le mur râpeux, le sol glacial. Je me lève, je tournoie dans tous les sens, m'enivrant de chaque sensation. Je tâte chaque recoin de la pièce, mémorise chaque texture, chaque odeur. Il n'y a pas d'autre meuble que le lit, le lavabo et la bassine. Et je connais chaque courbe et chaque angle des trois.

Essoufflée, je rejoins le lit en avançant petit à petit, les mains devant. Je m'écroule sur le matelas en tentant de respirer normalement. Ma tête tourne.

Une fois mon souffle régulier, je m'assois. Mes mains se touchent. J'ai besoin de me sentir en vie. J'examine mes doigts, la pliure de mes phalanges. Puis je passe aux bras, aux jambes. J'ai besoin de sentir que j'existe. Mes mains arrivent à mes joues, à mes cheveux épais. Je tâte mon nez, ma bouche, mes sourcils... J'effleure le tissu avec angoisse. Mon bandeau. Le seul rempart entre le monde et ma monstruosité. J'en dessine le contour. Je me sens euphorique de transgresser les règles de cette façon.

Je vais le faire. Je vais l'enlever.

Au moment où je crois avoir la force de le retirer, où mon cœur bat la chamade... Je renonce. C'est plus fort que moi. Je ne peux tout simplement pas l'enlever. Il fait partie de moi.

Je me sens impuissante face à ce rempart. Il me tient prisonnière et pourtant... Pourtant, il me rassure. Rien ne peut pas m'atteindre tant que je porte ce bandeau. Il me protège du monde extérieur, si hostile.

Cette fois encore, je ne l'enlèverais pas. Et pourtant, il m'attire. Un jour, peut-être. Je m'allonge et tire la couverture. Avant de sombrer dans un profond sommeil, je murmure :

- Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

 

 

SUITE

 

CHAPITRE 2 :

 

 

Je me sens enfermée dans un cycle sans fin. C'est comme si ma vie était composée de seulement deux jours, et qu'ils se répétaient à l'infini. Je n'ai pas le choix. C'est pour mon bien.

Madame Vanille m'a dit un jour qu'elle sacrifiait tout pour moi. Je lui dois tellement...

 

Souvenir d'enfance : flashs d'images, de bruits, de bons moments passés lors de l'enfance.

Je n'ai pas de souvenirs d'enfance. Enfin, si. Un seul. J'ai revécu cette scène tellement de fois dans ma mémoire que je me demande parfois si ce n'était pas juste un rêve.

Rêve : songe agréable venant à l'esprit pendant le sommeil.

Non. Ça ne peut pas être un rêve.

 

La douleur me transperce. Je ne comprend pas. Pourquoi ? Pourquoi me fait-elle cela ? J'ai été sage. Je crie, je hurle, je pleure. Plus je m'agite, plus j'ai mal. J'ai peur. J'ai mal. Je me sens trahie.

 

Ce ''souvenir'' me revient souvent.

C'était la première fois.

La première fois que je décevais Madame.

 

Ce matin, je me retrouve une fois de plus dans son bureau.

- A quoi penses-tu quand tu es seule ?

A quoi je pense... Depuis quand sait-elle que je pense ?

Cette question me laisse muette. Jamais elle ne m'a demandé ce que je pensais. Jamais cela ne l'a intéressée.

Une pensée brusque et emplie de certitude surgit en moi, me coupant le souffle : ça ne la concerne pas.

C'est exactement cela qui ne va pas. Elle n'a pas à savoir ce que je pense. Ma pensée est le seul endroit où le monstre en moi ne domine pas. Elle ne saura pas.

Quelques secondes s'écoulent.

- Répond.

Je ne peux pas. Je... Rien ne me viens. Que dire ? N'importe quoi, un mot, une phrase !

J'ai l'impression de tomber dans un gouffre infini.

Le tiroir s'ouvre. Non ! Une vague d'un sentiment fort monte en moi. Rébellion, me souffle mon esprit. Mais mon corps est faible. Il se laisse agenouiller et frapper, encore et encore.

Il se laisse frapper pour mon bien.

Je me sens vide, exténuée. Le bâton percute mon dos à intervalles réguliers, puissant. La vanille m'assaille et me broie le crâne. Je me perd.

 

 

Je me sens lasse, et pourtant depuis quelques jours quelque chose s'est éveillé en moi. C'est depuis que j'ai refusé de répondre a Madame Vanille. Ce sentiment qui sommeillait au fond de mon âme s'est soudainement mis à hurler et à marteler les parois de mon cerveau. Il veut sortir. Il est incontrôlable.

Aujourd'hui, quand Madame Maltes m'emmène au réfectoire, je ne me sens pas satisfaite. Je me sens... C'est tellement difficile à expliquer. C'est comme si tout autour de moi n'était qu'une mise en scène. Je ne me sens pas là où je devrais être.

Pour la première fois depuis quinze ans, je ne me sens pas à ma place.

Une petite voix dans ma tête souffle :

Tu es un monstre. Tu ne mérites rien de ce que tu as. Estime toi heureuse.

Mais le sentiment incontrôlable est toujours là, et il chasse la voix d'un ton affligé :

Mais pourquoi ?

Puis furieux :

POURQUOI ? POURQUOI CELA ?

J'assiste impuissante à la scène de mon esprit chamboulé. Un combat fait rage dans tout mon être.

C'est donc cela, la colère ?

 

Madame n'est jamais ''en colère''.

Elle est ''fâchée'', plutôt.

Mais jamais elle ne hausse la voix.

Je crois que je suis la seule à la mettre en colère. Je ne sais faire que cela.

 

 

Je suis seule dans la pièce où je dors. Je n'ai même plus envie de toucher le monde qui m'entoure.

Je ne vais pas bien. Je n'ai jamais été aussi mal.

Il faut que je voie Madame Vanille.

Pour ça, je devrais attendre demain.

Je repense à la colère. Un monstre peut-il ressentir de la colère ?

Je me lève brusquement. Le sentiment est là, il veut sortir. Je tâte le sol froid.

Les jointures du carrelage sont granuleuses, et le carrelage est si lisse. Je trace le contour des carrés glacés. Prise d'une envie de fraîcheur, j'écrase ma joue contre le sol. Ma respiration est saccadée.

Je me sens si mal.

Une nouvelle vague de colère monte en moi. Il faut que je frappe. Je veux frapper.

Alors, je lève les poings et les abats sur le carrelage. La douleur m'assaille mais bizarrement, cela soulage tout mon être.

Je recommence. Je m'acharne sur le sol.

Soulever les bras. Les précipiter vers le bas. Tout s'enchaîne avec facilité. J'accélère de plus en plus.

Mon cœur bat si fort.

J'ai. Besoin. De. Frapper.

Je ne m'arrête que lorsque je ne sens plus mes mains. Elles ne sont plus que des boules pendantes au bouts de mes bras. Je ne peux plus plier les doigts, mais cela m'est égal. La colère est passée.

 

Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

 

 

- Debout !

Un cri. Une voix aussi étonnée qu'énervée.

- Qu'est-ce que tu fais par terre ?!

Je reprend mes esprits. J'ai froid... Le sol est dur. Je ne suis pas dans le lit.

- Réponds !

Je n'ai pas la force. Sa main prend durement la mienne. Je gémis de douleur.

- Qu'est ce que tu as fais ?!

J'ai cédé à la colère.

- Réponds, que Diable !

La colère m'a possédée.

Il y a un silence. Une respiration qui tente de se ralentir.

- Lève toi.

Son ton est tranchant. Elle a retrouvé son calme.

Je me met à genoux et m'appuie sur ma main pour de me redresser. C'est tellement douloureux que je gémis. Mais je me relève, titubant. Une main me tire et me déshabille.

- Jure.

Le silence s'installe. Je ne peux pas lui répondre. Les mots sont coincés dans ma gorge.

Alors que je m'apprête à jurer, j'entends ma voix parler sans l'accord de mon cerveau.

- Non.

 

SUITE 2 :

Mon incrédulité fait place à la joie. Une partie de moi se délecte de ce mot.

''Non''.

J'ai envie de le crier.

C'est si agréable à dire.

Ce n'est pas le ''non'' du : ''as-tu enlevé ton bandeau ?'', c'est le ''non'' de la révolte.

Révolte... encore un mot qui se glisse dans mes pensées tel une couleuvre.

Ma joie ne dure pas longtemps. Madame Maltes s'est tue dans un silence abasourdit.

Jamais je ne lui ai dit non.

Et je vais payer pour ça.

 

J'ai froid.

Je suis nue, et le silence est interminable.

Madame Maltes pose ses mains gelées et calleuses sur mes épaules.

- Pardon ?

Sa voix est rauque.

Elle me met au défit de répéter.

Répéter ?

Je sens ma volonté se rétracter.

Mon incrédulité joyeuse se transforme en terreur.

Elle va me frapper. J'avale ma salive. Je veux hurler ce ''non''.

Pas aujourd'hui. Un jour, peut-être.

- Je...

Ma voix n'est qu'un murmure.

- Je t'écoute.

- Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

Je suis faible.

Pour la première fois de ma vie, je sens une douleur peser dans ma poitrine.

Je crois que je suis triste.

 

Un mot me trotte dans la tête.

''Tristesse''.

Je crois en avoir éprouvé.
Et pourtant, c'est impossible.

La colère, la tristesse... Je ne peux pas les ressentir. Tout simplement parce que je ne ressens pas.

Madame Vanille m'a toujours dit que les sentiments étaient pour les humains et que c'était une chose dont j'étais dépourvue.

Peut être que...

Non. Je chasse cette pensée de mon esprit. Madame Vanille ne peut pas se tromper. C'est impossible et insensé.

Une fois, avant de me frapper, Madame Vanille m'a dit qu'elle était ''triste d'en arriver là''.

Ressentait-elle une douleur insoutenable dans la poitrine ?

J'espère que non. C'est vraiment insupportable.

 

 

Cela fait quelques jours que la colère n'a pas reprit le contrôle.

Je la sens. Elle est là.

Mais elle ne me possède plus.

Tant mieux.

 

 

L'eau est froide. Elle coule dans mon dos, dégouline sur ma clavicule.

Je garde les yeux fermés.

Je suis glacée jusqu'aux os.

La mousse ne cesse de se multiplier. Je suis toute gluante.

L'éponge frotte ma nuque. Elle irrite et chauffe ma peau.

- Attends.

Ma voix est rauque. J'ai l'impression que quelque chose n'est pas à sa place.

L'éponge s'arrête.

- Quoi ?

Sa voix est glaciale. Je veux essayer... Je veux faire quelque chose moi-même.

Je sais que c'est absurde. Un monstre avec des revendications...

Mais c'est plus fort que moi.

- Je...

- Oui ?

Elle s'impatiente.

- Je peux essayer ?

Silence.

- Quoi donc ?

- L'éponge... Je peux ?

Elle ne dit rien. Elle semble réfléchir. Peser le pour et le contre. L'éponge, laissée en suspend, goutte dans la bassine. Ploc, ploc, ploc.

Je n'aurais jamais du demander ça. Je ne suis pas en droit de le demander... Le fait que je sois ici est déjà un privilège. Je ne devrais pas oser espérer plus.

Ploc, ploc, ploc, ploc...

Je me sens si coupable...

- Tiens.

L'éponge rugueuse frôle ma main. Elle... Elle accepte ?

Je me saisis de l'objet. Il est rond. Mousseux.

Je le presse, et la mousse coule le long de mon bras.

- De toute façon, j'en ai marre de te laver comme une handicapée.

Je vais... Je vais me frotter seule.

J'approche l'éponge de mon bras. Je reste un instant immobile. Saurais-je comment m'y prendre ?

Pour le savoir, je dois essayer. Je pose l'éponge sur ma peau.

C'est moins désagréable qu'avec Madame Maltes.

Je me met à longer mon bras, puis mon épaule, puis mon cou, puis...

Pour la première fois de ma vie, je me lave seule.

 

 

En ce moment, j'ai l'impression que ma vie est pleine de premières fois.

C'est... Excitant.

Déroutant.

Je ne sais pas comment réagir.

Alors je ne réagis pas.

 

 

Je pénètre dans le réfectoire. Une odeur flotte dans l'air...

Petits pois. Jambon.

Il fait chaud. La réunion de monde dans cette salle rend l'air lourd.

Les voix parlent autour de moi, elles discutent.

- Oh non, pas elle...

Je ne suis pas la bienvenue, comme à chaque repas.

On me traîne jusqu'à ma table et m'abandonne.

Une voix s'élève à ma gauche.

- Madame Maltes dit que c'est un monstre...

Madame Maltes a raison.

Une autre voix répond :

- Mais pourquoi elle dit ça ?

Parce que c'est vrai.

- Je ne sais pas. Mais en tout cas cette fille à l'air bizarre...

Bizarre ?

- Tu trouves ? Moi je dirais qu'elle se sent seule.

Seule ? Je n'ai pas besoin de compagnie. Je n'en mérite aucune.

- Bof. Je la trouve glauque avec son bandeau.

Silence. Je me sens observée, scrutée.

Je veux leur hurler de partir.

Je veux les faire regarder ailleurs.

La voix reprend, indifférente :

- Moi aussi au début je pensais qu'elle était peut-être simplement timide. Mais tu verras, tu te feras à l'idée. Elle n'est pas fréquentable. Elle a un truc louche.

Oui. Cette fille est un monstre.

Je le sais, mais l'entendre dire par un pensionnaire... Quelqu'un qui ne me connais même pas...

Me connaître ? Que dis-je ? Il n'y a rien à connaître de quelque chose qui ne ressens pas !

C'est comme essayer de parler à un lavabo. On se heurte à un mur.

Pourtant, cette idée que l'on me juge reste imprimée dans mon cerveau.

Je... Je ne veux pas que l'on pense cela de moi !

Et pourtant c'est vrai...

Mais je ne supporte pas cette idée.

Oh. Non.

La colère remonte en moi. Je crispe mon poing.

On revient, me dépose mon assiette.

Il va falloir que je mange.

Je ne m'en sens pas capable. Comment pourrais-je ouvrir la bouche alors que je ne pense plus qu'à une seule chose ?

Frapper.

Chacun de mes muscles est tendu.

Il. Faut. Que. Je. Respire.

Inspire. Expire. Ouvre la bouche. Mâche.

Je suis bloquée. Je pose mon poing sur la table. Elle est lisse, glissante. Il est tordu, serré.

- Mange. Qu'est-ce que tu fais ?

Elle ne comprend pas.

Elle ne se doute pas une seule seconde du combat qui fait rage dans tout mon être.

Je sais que l'assiette est à quelques centimètres de ma main.

Respirer. Je dois respirer.

Soudain, je ne contrôle plus rien.

Mon bras vole.

Il pousse l'assiette avec violence.

Tching !

On entend le son de l'objet se fracassant à terre, puis le bruit mou de la nourriture s'écrasant sur le sol.

L'assiette tinte. Se brise. Explose.

Le temps s'arrête.

La colère m'a possédée.

 SUITE  3 : 

 

Les bavardages se meurent. Un silence incrédule et choqué résonne dans tout le réfectoire.

Le bruit de l'assiette brisée se répercute sur les murs.

Je sais que tous les regards sont posés sur moi.

Je sais que j'ai commis un acte irréparable.

Mais au fond de moi, la colère s'en fiche. Elle gronde.

Inspire. Expire.

Ne. Frappe. Plus.

Mes ongles s'enfoncent dans mon poing. Je le serre tellement fort.

Autour de moi, tout est noir. Mais je sais qu'en vérité, ils sont là.

Ils sont tous là. Abasourdis.

Je me force à penser à autre chose : le contact de mes jambes sur la chaise ou de mes pieds sur le sol.

Je veux penser à tout sauf la colère qui hurle.

J'agrippe le métal dans un élan soudain.

Il faut que je reste ancrée à cette réalité.

Je suis là.

Je vais bien.

Une onde de soulagement parcourt mon corps. Chacun de mes muscles se détend.

Elle s'est calmée.

Maintenant, je vais devoir affronter les conséquences de mon acte.

 

 

Contrôler : Maintenir, contenir. Avoir suffisamment de puissance pour que les choses se passent comme on veut. Avoir une certaine maîtrise de quelque chose ou de quelqu'un.

 

Aujourd'hui, j'ai perdu le contrôle.

En public.

 

On me tire. Violemment.

Après le silence, Madame Maltes s'est précipitée sur moi et m'a emmenée. Nous avons quitté le réfectoire en vitesse sous le regard de tout les pensionnaires.

On me tire encore et encore à travers les couloirs.

Je crois savoir où on m'emmène.

 

 

Devant le bureau, Madame Maltes ouvre la porte mais bizarrement, elle ne me pousse pas à l'intérieur.

- Reste là.

De toute façon, où pourrais-je aller ?

Elle m'abandonne sur le seuil.

La porte se referme.

Je tâte autour de moi et trouve le mur. J'appuie mon dos contre et me laisse glisser à terre.

Jamais Madame Maltes ne m'a emmenée au bureau en journée. Ça a toujours été le matin.

Ce matin, j'ai vu Madame Vanille. Elle m'a posé des questions. J'ai répondu, comme toujours.

Mais aujourd'hui est un jour spécial.

J'ai transgressé une règle.

Pire : j'ai osé ressentir.

J'entends des voix. Le bureau est mal isolé.

Madame Maltes et Madame Vanille parlent. Fort. Vite.

Nerveusement, je porte la main à mon bandeau. J'en trace le contour.

Il est un peu effiloché sur les bords.

Il est composé de tellement de fils...

Seul, un fil ne me cacherais pas du monde extérieur. Mais cette union me bloque la vue.

Je passe ma main à l'arrière de ma tête.

Il y a le nœud.

Il est constamment là.

La nuit, quand j'essaie de dormir, il me gêne.

Mon bandeau aussi me gêne.

Il représente ma captivité. Pire : il me rappelle, à chaque instant, ma monstruosité.

Il serre ma tête comme un étau.

Mon crâne est son prisonnier.

Je meurs d'envie de me libérer de son emprise, mais j'en suis incapable.

 

 

Mes pensées illégales sont brusquement interrompues.

Grincement de porte. Claquement de talons.

On me tire.

Je me retrouve assise dans le bureau de Madame Vanille.

Elle rétracte frénétiquement la mine de son stylo.

Clic. Clic, clic clic.

Ce fameux stylo...

Elle tape du pied.

Elle est très énervée.

Je suis immobile et je baisse la tête.

Je veux disparaître.

Clic, clic, clic, clic...

J'ai tort et je le sais. Elle est là, elle me juge. J'ai honte.

Son silence me remplit d’appréhension.

J'ai besoin qu'elle dise quelque chose. Qu'elle hurle. Qu'elle frappe. Qu'elle me sorte de cette torpeur.

Mais elle reste désespérément muette.

Je veux des mots.

Pitié.

Je n'ai pas besoin de la voir, je sais que chaque muscle de son corps est tendu à en éclater.

Pitié.

Je veux qu'elle me dise que je suis mauvaise, qu'elle me punisse.

Pitié.

Je veux savoir que je n'aurais jamais du me laisser posséder.

Pitié.

Je veux qu'elle me laisse penser que je suis la seule coupable.

Je veux juste retrouver ma vie d'avant.

Mais le silence se prolonge, ponctué de bruits de stylo.

Clic, clic, clic...

Parle !

Je ne dirais rien. Je veux qu'elle parle.

Elle inspire une bouffée d'air.

Enfin.

- Pourquoi ?

Son ton est glacial.

Non !

Je veux qu'elle explose, qu'elle me crache son dégoût !

La douleur est immense. Je ne supporte pas de savoir que je la déçois.

Je n'ai pas de raison. Mais il me faut répondre.

- Je voulais manger seule.

Au moment où les mots franchissent mes lèvres, cela devient une évidence.

Mais oui, je voulais manger seule.

Je me convainc moi même. C'est évidemment ça.

Non, la colère ne m'a pas possédée.

Non, je n'ai pas ressenti.

J'ai seulement pensé que je dérangeais Madame Maltes.

Madame laisse échapper un soupir agacé.

- Ce n'est pas une raison. On ne casse pas une assiette pour une simple revendication.

Elle a raison. Elle a toujours raison.

- Et tu n'as pas à avoir des revendications. Tu es un monstre. Le fruit du démon.

Elle annonce cela avec simplicité.

- Je vais devoir te punir.

Clic, clic, clic, clic...

J’attends la sanction. Je la mérite. Je regrette tellement...

- Nous avons réfléchit avec Madame Maltes...

J'accepterais tout. Je suis si mauvaise... Je ne mérite aucune considération.

- Tu vas aller dans la boîte.

 

SUITE  4 :

 

Chapitre 4 :

 

 

 

Mon cœur bondit et s'arrête.

Je me fige.

Je retiens mon souffle et la panique me gagne.

Non.

Pas ça.

Tout sauf ça.

Pas la boîte.

Je ferais n'importe quoi, mais ne me mettez pas dans la boîte.

 

Des lames assaillent mon dos. Un couteau cisaille mon bras droit. Je pleure, je crie. Je ne veux pas rester là. J'ai peur. J'ai mal. J'ai faim. J'ai l'impression d'être là depuis une éternité. Je veux partir... Je ne ferais plus de bêtises, promis. Sortez moi de là...Sortez moi de là !

 

Jamais.

Jamais je ne retournerais dans la boîte.

Cela fait tellement longtemps.

Je ne veux plus jamais y retourner.

Il faut que je le dise. Il faut que je dise à Madame que je ne peux pas. Que je ferais tout ce qu'elle voudra.

Je me rappelle soudain que je dois respirer.

Mes mains tremblent.

- Je ne peux pas.

- Quoi ?

Je répète, plus fort :

- Je ne peux pas y aller.

- Où ?

Elle sait très bien de quoi je parle.

- Dans...

- Oui ?

Je vais devoir le dire. Je serre les dents.

- Dans la...

C'est douloureux. Plein de souvenirs remontent et m'assaillent. J'inspire un grand coup.

- Dans la boîte.

- Oh, je vois. Mais tu n'as pas le choix.

Non. Je ne vais pas y retourner.

- Pitié. Je ne recommencerai jamais.

- Ça m'est égal. Tu dois être punie.

Non. Je réfléchis à toute allure. Il doit bien y avoir un moyen... Un moyen d'empêcher ça !

J'ai trouvé.

Je sais.

- Frappez moi.

 

 

Poc. Madame pose son stylo.

- Bien sûr.

La chaise racle. Le tiroir s'ouvre.

Ses talons claquent.

Elle me lève.

Et bientôt, la douleur percute mon dos.

Je l’accueille avec un soulagement indescriptible.

Elle se propage dans tout mon corps.

J'ai si mal...

Je ne peux plus réfléchir, je ne pense plus à rien.

La tête basse, j'accepte mon châtiment. Je l'ai mérité.

Je suis tellement heureuse...

J'ai échappé à la boîte. Plus rien d'autre ne compte.

Lorsque tout s'arrête, je me relève et murmure :

- Merci.

- Ne me remercie pas. Tu vas aller dans la boîte, maintenant.

Quoi ? Je ne comprend pas.

J'ai déjà été punie. J'ai payé pour mes actes.

- Je... Les coups n'étaient pas ma punition ?

Il y a un silence, et elle laisse échapper un petit ricanement.

- Ce serait trop simple.

Non. Pitié.

- Je...

- Oui ?

- Je vous en prie...

Ses boucles d'oreille tintent.

- Tu as mérité la punition de la boîte.

Je me sens perdre prise.

Dans ma tête, une voix s'impose et hurle : trahison !

La panique me gagne.

Je ne peux pas y retourner.

Je ne veux pas y retourner.

Comment peut-elle me faire ça ?

Me faire croire que je n'irais pas, puis m'y envoyer ?

Je suis accablée.

Détruite.

Je me sens tirée...

On n’emmène au seul endroit où je ne veux pas aller.

On m'emmène droit dans la boîte.

 

 

SUITE 5 :

 

 

Je me laisse traîner à travers les couloirs.

Mon souffle s'accélère.

Je. Ne. Veux. Pas.Y. Aller.

Je me sens si...

Je ne peux pas expliquer ce que je ressens.

 

Paniquer : Se sentir oppressé, perdre le contrôle de ses émotions.

 

Je n'ai pas le droit de ressentir.

Et pourtant, je crois que je panique.

 

Soudain, j'ai un pincement au cœur.

Quelque chose monte en moi.

La colère. La colère est là.

Non.

Je ne veux pas d'elle.

Je tente de la repousser dans un coin de ma tête, mais elle tient bon.

Quand la colère veut posséder, elle possède.

Sans autorisation.

 

Alors je m'arrête net.

Mes jambes refusent de bouger encore. De marcher vers la Boîte.

C'est vrai, pourquoi marchent-elles ?

Elle ne veulent pas. Je ne veux pas.

Elles ne marcheront plus.

 

- Que fais-tu ? Dépêche toi !

La main me tire, me serre. Elle veut que je la suive.

- Allez !

Non.

- Tu vas venir, oui ? Je ne veux pas passer ma journée ici !

Je ne bougerais pas.

Elle s'énerve.

- Tu es ridicule !

Je me sens bizarrement très bien.

Elle me tire de toutes ses forces.

Je ne bouge que très peu.

Elle va se fatiguer. Je n'irais pas là-bas.

Elle soupire.

- Bon. Tant pis pour toi.

Elle fait demi-tour et m'emmène.

J'ai... J'ai réussit !

La colère s'évapore, soulagée.

- Madame Kate, Madame Jully ! Venez m'aider je vous prie !

Non...

Je me fais empoigner par six mains.

On me soulève.

Je me débat mollement.

La trajet continue.

Rien ne sert de lutter, j'irais dans la Boîte.

Quelque part au fond de moi...

Je le sais.

Je ne peut pas y échapper.

 

 

 

Je suis assise.

Mes jambes sont ramenées contre ma poitrine et entourées de mes bras.

J'inspire doucement, en serrant les dents.

J'expire avec soulagement.

La douleur me transperce...

Au. Moindre. Mouvement.

Chaque respiration me fait souffrir.

Seule ma tête est épargnée des lames acérées.

Tout mon corps est recouvert de pointes tranchantes.

Certaines s'enfoncent un peu dans ma chair, d'autres ne font qu'effleurer ma peau.

Le sang coule.

Il dégouline le long de mon bras gauche et de mon mollet droit.

Je ne peux pas bouger.

Le moindre mouvement enfonce les lames dans mon corps...

Les fait remuer dans les plaies.

Je me sens seule.

J'ai mal.

Je suis coincée.

Je suis dans la Boîte.

 

 

 

Je veux hurler mais je sais que c'est inutile.

Et douloureux.

Une perte de temps.

Une perte de sang.

Alors je me concentre sur ma respiration en tâchant de bouger le moins possible.

J'ai l'impression que le temps s'est figé autour de moi.

Les secondes durent des heures.

Les heures durent des siècles.

Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq...

Je compte le temps.
C'est tellement long...

Six. Sept. Huit. Neuf. Dix...

J'ai envie de laisser la colère s'emparer de moi.

De mon corps.

La laisser se déchaîner et détruire tout sur son passage.

Onze. Douze. Treize. Quatorze. Quinze...

Mais il ne faut pas que je bouge.

Surtout pas.

Car la Boîte ne pardonne pas.

Et je sais... Je sais que si Madame Vanille voit sur mon corps que je me suis débattue...

J'en paierais le prix.

Seize. Dix-sept. Dix-huit. Dix-neuf. Vingt...

Je veux leur désobéir.

Leur cracher mon mépris au visage.

Il faut que je sorte d'ici.

Je le sens, je le sais.

La colère va me posséder et alors...

Vingt-et-un. Vingt-deux. Vingt...

Soudain, je sais.

C'est évident.

Je vais enlever mon bandeau.

 

 

 

J'aurais du y penser avant.

Je vais enfreindre la règle ultime.

Il va falloir que je bouge.

Ça va être très douloureux.

Je dénoue mes mains qui étaient enroulées autour de mes jambes.

Je commence à les monter pour atteindre ma tête, lentement... Mais les lames sont partout.

Aïe.

Mes avant-bras glissent sur toutes les pointes, s'entament sur tous les tranchants.

Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

Je progresse, tout doucement.

J'ai tellement mal...

La chair de mes bras est entaillée de partout.

Ma peau est poisseuse de sang.

Mais je continue.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine.

Je me rend compte de ce que je m’apprête à faire.

Mais je continue.

Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

Je sais que je suis un monstre.

Que je ne devrais pas ressentir, ni même penser.

Que je ne devrais même pas vivre.

Mais je continue.

Mon cœur bat de plus en plus fort.

Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

Il. Faut. Que. Je. Le. Fasse.

J'ai mal.

Je serre les dents.

Les lames ricanent.

J'y suis presque.

Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

Je sens mes cheveux. Je suis si proche...

Je m'arrête pour respirer un peu.

J'ai tellement mal... Je gémis.

Je me mors la lèvre.

Je sais que je vais y arriver.

Alors je continue.

Je jure de ne jamais ouvrir les yeux et de ne jamais tenter d'enlever mon bandeau.

Je. Vais. Enlever. Mon. Bandeau.

Je touche du tissu.

J'arrive au nœud, à l'arrière de ma tête.

Boum. Boum. Boum. Boum...

Mon cœur livre un combat acharné contre ce qui le sépare de l'air pur.

J'ai l'impression qu'il veut sortir.

Mes mains tremblent. Je m'apprête à changer ma vie entière.

Mes doigts tirent fébrilement le nœud.

Je le sens lâcher.

Je jure...

J'ai réussi.

 

SUITE 7 :

 

Chapitre 5 :

 

 

 

 

Le bandeau glisse.

Je ressens le contact de l'air sur mes paupières nues.

Mes bras qui restent en suspend me font terriblement souffrir.

Je suis coincée dans la Boite.

Mais plus rien de tout cela ne m'importe... Je vais voir pour la première fois de ma vie.

La pièce est silencieuse...

Je. Suis. Seule.

J’entends en sourdine l'activité du bâtiment.

Les pensionnaires qui circulent...

Je ne sais pas si je pourrais ouvrir les yeux.

Je ne les ai jamais ouvert.

Peut être vont-ils rester soudés...

Une vague de panique m’envahis.

Je ne sais pas comment faire. Comment ouvrir les yeux.

Et que va t-il se passer si je les ouvre ?

Je. Perd. Pied.

Qu'ai-je fais ?

Je veux ouvrir les yeux.

Mais est-ce bien ?

Je suis en train de me torturer de multiples questions quand soudain mon corps prend le contrôle.

Comme s'il n'avait jamais été privé d'un sens, il ordonne aux paupières de s'ouvrir.

Et elles s'exécutent.

 

 

 

Les ténèbres infinies se transforment soudainement en une lumière blanche qui me fait mal aux yeux. Tu es éblouie, me souffle mon esprit.

Un mot inconnu pour moi.

Que faisait-il dans mon esprit ? Peu importe, j'ai du mal à ouvrir complètement les paupières.

Peu à peu, je vois apparaître les choses qui m'entourent. Les couleurs, les formes, les objets... Ce dont m'a parlé Madame Vanille. C'est tellement magnifique...

J'écarquille tellement les yeux qu'ils finissent par piquer, et alors ils clignent naturellement.

Pendant une fraction de seconde, mon cœur bondit, j'ai une peur irrationnelle que mes paupières ne se rouvrent plus.

Que je retourne dans les ténèbres pour toujours.

Puis, je découvre le monde pour la seconde fois, et je suis rassurée.

Autour de moi se trouvent des meubles que je n'ai jamais touchés, remplis d'objets rectangulaires multicolores. Je suis émerveillée.

 

Merveille : chose qui provoque l'émerveillement de part sa beauté, sa rareté, sa valeur.

 

Tout ce qui m'entoure n'est que merveilles.

Soudain, une douleur me ramène à la réalité : je suis encore dans la boîte.

Il faut que je sorte d'ici.

Mais c'est impossible.

J'aurais dû y penser avant... Je suis incapable de me délivrer.

Je suis en train de désespérer quand soudain je réalise que je me trompe.

Avant, j'en étais incapable.

Maintenant...

Je vois.

 

 

 

 

Je tends le cou pour voir le loquet.

Je sais qu'il y a un loquet quelque part, Madame Maltes s'en servait pour me délivrer.

Je l’aperçois. Il est à ma gauche, à l'extérieur.

Je ne le lâche pas les yeux, et je commence à bouger douloureusement mon bras pour l'atteindre.

Petit à petit.

Je ne ressens presque pas les lames, tant je suis heureuse de voir enfin.

Le loquet n'est pas loin.

Je vais l'avoir.

Aïe.

Une lame s'est profondément enfoncée dans mon bras, j'ai été trop brusque...

Je me fige.

Inspire. Expire. Je me sens bloquée, le moindre mouvement pourrait aggraver ma blessure.

J'ouvre plus grand mes yeux et regarde bien le loquet.

Je vais y arriver.

Soudain, le loquet se met à se tordre.

Il.... Il fond.

Comme la glace que mettait Madame Vanille dans mes mains. Il fond.

D'un coup, les trois parois qui m'emprisonnaient tombent à terre.

Je suis stupéfaite.

Je reste un instant sans bouger, incrédule.

Puis j'entends des bruits dans le couloir, et la panique s'empare de moi. Il faut que je m'enfuie. Que je parte le plus loin possible d'ici. Madame Vanille ne me pardonnera jamais d'avoir désobéit.

Le cœur battant, je me lève et défaille, en proie à un vertige. Je me ressaisis et regarde autour de moi.

Tout à coup, certains meublent se mettent à émettre un filament gris. Une sorte de...

Brouillard : Brume vaporeuse empêchant de voir clairement

Du brouillard. Il me semble.

Je m'approche pour regarder plus attentivement et l'odeur me saisit. Je la reconnaît.

C'est de la fumée.

La fumée introduit souvent...

Le feu.

Les flammes jaillissent alors, grandissant de plus en plus. Elle se mettent à lécher le plafond.

Je fais volte-face, et la fumée est partout sur les meubles.

Il faut que je sorte d'ici. Je me précipite sur ce qui me semble être la porte et saisis la poignée.

J'aperçois alors une main blanche et fine.

C'est la mienne.

 

 

 

 

Je n'ai pas le temps de l'observer. Je commence à tousser.

Alors, je tire la porte et jaillis dans le couloir.

Affolée, je regarde tout autour de moi mais la fumée commence déjà à apparaître ici aussi.

Je cours, il n'y a personne.

Je ne peux pas réfléchir où je vais, j'ai bien trop peur pour cela.

Alors je fuis sans savoir où, tournant à gauche, à droite. Soudain, je heurte quelque chose.

Non, quelqu'un.

Une personne. Madame m'a dit que les garçon ont les cheveux court, souvent. C'est un garçon, je crois.

- Tu peux pas faire att...

Je le regarde et il ouvre grand ses yeux :

- Mais... Tu es...

Je ne lui laisse pas le temps de finir, je crie.

La fumée est apparue sur son torse, et je l'ai vue.

Il ne comprend pas, il me demande de me taire et moi je lui montre, mais il ne voit pas, je l'implore mentalement de quitter son vêtement, mais il continue de me regarder et soudain la fumée est partout sur lui, et il brûle, et il hurle, et je veux l'aider mais je me brûle moi aussi en l'approchant, et ses cris n'en finissent plus, il se consume, sa chair prend feu et je vois ses os, il noirci et hurle encore et encore, c'est un cauchemar abominable, il tombe à genoux, et je m'enfuis.

Mes yeux sont inondés de larmes, je cours pour fuir l'horreur, je ne comprend pas, la fumée me poursuit et elle est partout, que faire ?

Jamais je n'aurais dû enlever ce bandeau, jamais !

Je suis un monstre, et j'ai désobéi. Je suis punie par la nature pour avoir enfreint la règle.

Je me réfugie dans une pièce remplie de ce qui me semble être trois lits et un meuble étrange.

Je me recroqueville dans un coin et ferme les yeux. Plus jamais. Plus jamais.

J'attends ici pendant ce qui me semble être une éternité.

J'entends des hurlement et je pleure, je pleure en repensant à la pauvre personne. C'était un pensionnaire, pas de doute. Il est mort.

C'est de ma faute, tout est de ma faute, je n'aurais pas dû enlever ce bandeau. Quelque chose est en colère contre moi à cause de ça.

Des pas précipités résonnent dans tout le bâtiment.

Soudain, des pas se rapprochent.

La porte s'ouvre à toute volée.

Il y a un petit silence, puis une voix s'écrie :

- Qu'est ce que tu fais là ?! Tu vas cramer ! Il y a le feu !

Je sanglote de plus belle pour toute réponse.

- Bon, grouille toi ! Je vais te sortir de là !

Une main me saisit le bras et me lève. Je garde les yeux résolument fermés. Je ne comprend pas tout ce qu'elle me dit. Il me semble que c'est une fille.

- Ah, tu... Bon. On va faire avec.

La personne me tire et sort de la pièce. Je la suis, et nous zigzaguons dans les couloirs, descendant des escaliers de temps à autre, elle me tire, sa main est chaude et ferme, rien à voir avec celle de Madame Maltes. Et enfin... Je pose mes pieds sur une surface plus molle que toutes celles que j'ai pu tâter jusqu'à présent. C'est très étrange, mes pieds s'enfoncent un peu. Ou suis-je ? Et l'air est... beaucoup plus respirable. Je sens de l'air sur mon visage...

Alors que je reprend mon souffle, la personne s'adresse à moi.

- Bon, tous les autres sont à l'avant. Je suis sortie par derrière parce que je veux me casser, j'en ai ras-le-bol de cet orphelinat de merde. Une occasion comme celle-là, ça se rate pas.

Je ne comprend pas tout ce qu'elle me dit, c'est bizarre.

- Je ne comprend pas tout ce que tu me dis.

Ma voix est éraillée. Je me racle la gorge.

- Écoute l'aveugle, je vais te dire clairement les choses : je m'en vais d'ici. Je ne peux pas t'accompagner devant où ils me garderont, il va falloir que tu fasses le tour du bâtiment toute seule. Pigé ?

Que veut dire « pigé » ? Nous sommes... Dehors ? Il y a un dehors du bâtiment ?

J'entends des pas s'éloigner. Mon cœur accélère. Non, elle ne peut pas me laisser, je ne veux pas rester ici, et encore moins toute seule. Je prend une grande inspiration :

- Attends !

Les pas s'arrêtent net.

- Quoi ?

Il faut qu'elle m'emmène. Il le faut.

- Je viens avec toi.

Silence.

- Allez, bouge, on y va.

Je sens le sourire dans sa voix, et je marche prudemment en sa provenance.

La personne me prend l'avant bras et nous avançons d'un pas rapide.

- On parlera de tout quand on sera suffisamment loin. Et je panserais tes blessures. J'ai tout ce qu'il faut dans mon sac.

Elle ajoute.

Je continue de marcher à ses côtés, les yeux fermés. Je me sens... En sécurité.

Des petites choses me frottent les jambes, mais je ne me plains pas. J'entends des bruits... Tellement de bruits qui me sont inconnus. Et des odeurs... Une foule d'odeurs qui se bousculent.

Je me précipite vers ce futur incertain. Je cours vers l'aventure.

Je suis un monstre et je suis libre. Tellement libre.



20/01/2015
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